Rossbach, 5 novembre 1757 : ces mots évoquent la débandade de l’armée commandée par le prince de Soubise, qui ne doit sa place qu’à l’amitié du roi et de la trop puissante marquise de Pompadour… C’est un peu facile, Soubise mérite mieux. On a tendance à oublier que la vie du prince, élevé à la dignité de maréchal l’année suivante, ne se réduit pas à cette défaite que la fuite rend honteuse. Il faut la replacer dans son triple contexte : celui de la guerre de Sept Ans, guerre franco-anglaise, achevée par la victoire de l’ennemi héréditaire ; en Allemagne, celui de la campagne d’une armée franco-impériale au service des ambitions de Marie-Thérèse ; et en France, celui d’un royaume miné dans toutes ses structures par le puissant mouvement des idées véhiculées par les Lumières.
Mais plus encore, si la défaite française de Rossbach doit tenir une place dans l’histoire, c’est surtout parce qu’elle est, pour le roi de Prusse Frédéric II, sa première victoire allemande plus que simplement prussienne : elle fonde en ce 5 novembre 1757 l’immense mouvement national qui conduit à l’Unité de l’Allemagne au XIXe siècle, inscrite dans une sorte de généalogie militaire : Rossbach en 1757, Iéna en 1806, Sedan en 1870. Le royaume de Prusse, par la guerre, est alors devenu Empire allemand. Rossbach, et plus largement la mémoire de la guerre de Sept Ans, restent dans la première moitié du XXe siècle les repères de la puissance militaire d’un nouvel ennemi héréditaire, contre lequel deux autres guerres s’engagent encore avec une brutale défaite française, en août 1914 comme en juin 1940.
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Jean-Pierre Bois, ancien élève de l’École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique, professeur émérite de l’Université de Nantes, président de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts d’Angers, est spécialiste d’histoire militaire et des relations internationales à l’époque moderne. Ses dernières publications sont une Histoire de La Paix, de 1435 à 1878 (Perrin, 2012), Prix Drouyn de Lhuis, Académie des Sciences morales et politiques, une biographie de La Fayette (Perrin, 2015), et une étude sur L’abbé de Saint-Pierre, entre classicisme et Lumières (Champ Vallon, 2017), Prix de la biographie historique de l’Académie française 2018.